La poétique lumière de Bornéo

La Lumière de Bornéo

(Le Spirou de... n°10) - Frank Pé & Zidrou

 

La série parallèle lancée par les éditions Dupuis en 2006 est constituée de one shots confiés à divers auteurs libres de s'amuser avec Spirou le temps d'un album en s'affranchissant des contraintes de la série-mère. Et bien qu'elle soit inégale en qualité, cette série parallèle est pour l'instant irrévocablement supérieure aux derniers albums de la série principale, qui a connu plusieurs continuateurs sans redécoller après l'arrêt de Tome & Janry en 1999. Quand les aventures de Spirou et Fantasio sont en effet assez poussives et peu consistantes dans la série-mère depuis dix ans, les expérimentations connaissent en revanche de franches réussites dans la série parallèle. On a par exemple connu un très bel opus avec Le Spirou d'Emile Bravo, intitulé Le journal d'un ingénu, un album original avec Le Spirou de Parme & Trondheim (Panique en Atlantique), ou encore un numéro audacieux avec Le Spirou de Téhem, Makyo & Toldac (La grosse tête).

Ici, c'est Frank Pé & Zidrou qui ont eu pour mission de réaliser le n°10 de cette série parallèle. Leur collaboration a accouché de La lumière de Bornéo : un album magnifique, plus que réussi et, on pourrait oser, époustouflant.

Le scénario fourmille d'intrigues et ça fait un bien fou de ne pas savoir par où commencer pour le présenter brièvement, tant les BD souffrent, dans beaucoup de séries, de leurs intrigues ténues et malingres. La lumière de Bornéo, au contraire, est dense et foisonnante sans être complexe pour autant. Et à cette densité s'ajoute une dimension majeure : sous l'intrigue, Pé & Zidrou dévoilent une fable humaniste qui fait du bien.

 

Après un prologue aux images percutantes et splendides, dont on ne comprend vraiment l'enjeu que plus tard, on assiste à la démission de Spirou qui claque la porte du magazine Moustique pour ne pas avoir à se plier aux contingences du grand capital. Une occasion pour lui de prendre du bon temps et de se consacrer à des choses vivifiantes pour le corps et l'esprit. Quant à lui, Fantasio se montre un peu plus veule.

Toutefois, la période sabbatique de Spirou ne s'accomplit pas comme prévu.

Des tableaux magnifiques signés d'un auteur anonyme créent une révolution picturale et initient un nouveau mouvement, le zooïsme. Qui est l'artiste de génie?

Un champignon néfaste aux propriétés inconnues se propage à travers le monde en une marée inarrêtable.

Noé, ce dompteur misanthrope qu'on a connu dans Bravo les Brothers (à lire à la suite de Panade à Champignac) fait sa réapparition en ville, entouré de toutes ses bêtes, avec un cirque qui a du mal à remplir ses gradins. 

Spirou se voit confier la garde d'une adolescente caractérielle débarquée du Canada.

Fantasio a pour mission de dénicher l'auteur génial des toiles zooïstes, que tentent de s'arracher d'insupportables marchands d'art, aussi incultes que corrompus.

 

 

"Donnez-moi un gorille à affronter, un tyrannosaure! Un dictateur fou! Un savant pervers...

Tout, mais pas une ado!!"

(Belle suite de références au passé de la série-mère.)

 

Inutile de développer davantage. Ces intrigues permettent de déployer des valeurs humanistes et écologistes, de multiplier - sans outrance néanmoins - les références au passé de la série principale, de faire jouer un humour sain, souvent subtil et jamais vulgaire, de proposer une vision revigorante des personnages...

Malgré les 84 planches, les auteurs n'ont pas cherché à faire intervenir un nombre inutilement élevé de personnages emblématiques des aventures de Spirou. Mais les clins d'oeil foisonnent. De belles photos encadrées par exemple se glissent dans les dessins, comme un portrait de Franquin et des clichés tirés des archives Dupuis.

Les dialogues sont bien écrits, sans artifice, et font réfléchir à des problématiques contemporaines sans enfiler de gros sabots. L'amitié ambiguë de Spirou et Fantasio est parfois soulignée par des traits d'humour sans lourdeur.

 

 

"Sac à papier! Dans ce cas, je ne vois plus qu'une seule solution, achetez-lui un bouquet de fleurs et demandez-lui pardon à genoux!" (Le comte de Champignac, à Fantasio, à propos de Spirou)

"Mon cher Pacôme... Vous avez raté une fort lucrative carrière de thérapeute de couples! Hi hi!" (Dr Follicule)

"C'est qui lui? Ton mari?"

 

 

Et les dessins! Les planches sont très belles, les dessins vifs et dynamiques. Le traitement graphique des personnages principaux est très réussi, affranchi du travail de Franquin mais toujours respectueux et méticuleux.

Dans son ensemble, le graphisme de La lumière de Bornéo participe de la dimension philosophique de l'album. Il y avait un risque à prendre, puisque l'un des sujets principaux de l'histoire est la série de toiles révolutionnaires accomplies par un peintre anonyme : les auteurs prennent le parti de nous les montrer, ces toiles, et c'est beau.

 

Ah, une dernière chose : Bornéo est le nom de l'orang-outan de Noé, le dompteur poétique et misanthrope... Et il est réellement aussi lumineux que l'album.


La Lumière de Bornéo

Le Spirou de... n°10

Dessin : Frank Pé

Scénario : Zidrou

Editeur : Dupuis

Publication : octobre 2016

 

 

 

 

Consulter notre billet sur Le Spirou de... n°8 (La Grosse Tête)



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