En souvenir des Goldman-de-Baltimore

Le Livre des Baltimore - Joël Dicker

 

En 2012, Joël Dicker avait frappé un grand coup avec La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert. Ce thriller à l'américaine avait emballé les lecteurs et remporté un franc succès, grâce à son intrigue riche en rebondissements, boulimique de suspense, savamment structurée, et nourrie de réflexions sociologiques. Dicker y mettait en scène un jeune écrivain américain frappé du syndrome de la page blanche après le beau succès de son premier roman : Marcus Goldman, pas tout à fait trentenaire, beau gosse et romancier talentueux, mais en panne sèche, pressé par son éditeur qui le traquait et l'asticotait. Parti se ressourcer auprès de son ami écrivain et ancien professeur de littérature, Harry Quebert, Goldman n'imaginait pas de quelle façon l'inspiration lui viendrait pour son deuxième roman : Harry Quebert se retrouvait au centre d'une affaire criminelle surgie d'un lointain passé. Convaincu de l'innocence de son ami, malgré les éléments accablants, Goldman se lançait dans une enquête-marathon à couper le souffle.

Par une élégante mise en abyme, Joël Dicker accouchait ainsi du même deuxième roman que son narrateur Marcus Goldman, puisque La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert était précisément le roman phénoménal composé par Goldman. Avec un décalage de cinq-six ans, Dicker (né en 1985, ayant publié La Vérité... en 2012) pouvait se rêver en Marcus Goldman (né en 1980, ayant publié La Vérité... en 2006), au point que certains lecteurs se plurent peut-être à confondre un peu les deux, et à oublier que Dicker n'est pas américain (mais suisse) et écrit en français.

Impossible, en 2012, de savoir que Marcus Goldman reviendrait dans le troisième roman de Joël Dicker, en publiant lui aussi son troisième roman - et naturellement, la même mise en abyme fait coïncider les deux titres : Le Livre des Baltimore -, donnant ainsi l'impulsion à ce qui s'apparente bien à une forme de saga. Le même narrateur continue d'installer son paysage intime et son décor familial. Il développe son histoire personnelle. Ainsi son créateur Dicker amplifie l'environnement romanesque du personnage Goldman, lequel devient le familier d'un lectorat qui se fidélise : à coup sûr, Dicker gagne des adeptes et modèle des assidus de Marcus Goldman. Les ficelles littéraires sont peut-être un peu plus visibles dans Le Livre des Baltimore (usage de quelques poncifs, recours aux sentiments faciles, tournures stylistiques un peu téléphonées...), mais la recette fait mouche ; indéniablement, Joël Dicker sait entretenir un suspense à la limite du vicieux : pas d'assassinat, pas d'affaire criminelle apparente au début du livre, mais un Drame qui plane, un Drame avec son grand D, une famille prospère et fascinante, dont on veut tout savoir, qu'on veut connaître comme sa propre famille, les Goldman de Baltimore dont il devient impératif de découvrir le sort, il nous

faut savoir la nature du Drame qui les a frappés. Les Goldman de Baltimore, ce sont les cousins de Marcus par son père : ses cousins et leurs parents, Saul Goldman et Tante Anita - leurs parents ou presque, pour ce qui est de Woody, cet ado sensible et bagarreur qui devient le frère de coeur de Hillel. Les Goldman-de-Baltimore, les Baltimore pour faire plus simple, font l'admiration de Marcus, qui, lui, est issu des Goldman-de-Montclair. Ils sont beaux, ils sont généreux, ils sont intelligents, ils sont unis, ils sont démocrates. Mais il y a peut-être anguille sous roche. Des secrets? Des non-dits? En tout cas, un Drame, survenu en 2004. Marcus Goldman retrace l'histoire de sa famille, ou plutôt de ses familles, les Montclair et les Baltimore, il raconte le clan qu'il formait avec ses cousins, le destin incroyable de son oncle fortuné, la chute de cette branche familiale, et nous fait bisquer avec brio en faisant planer l'ombre du Drame sur une architecture romanesque très bien montée. Peu à peu, les éléments se révèlent, pour conduire jusqu'au dévoilement de ces satanés événements, dont on se demande de bout en bout ce qu'ils ont pu être, pourquoi et comment, et dont la perspective nous étreint davantage à chaque nouveau chapitre.


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