Marco Pantani a débranché la
prise - Jacques Josse
Il ne s'est passé que dix ans entre le début de la notoriété internationale de Marco
Pantani dans le cyclisme sur route et son décès : 1994-2004. C'est court pour une carrière sportive de grande envergure et c'est très court au regard de la dimension que le coureur
italien avait prise, dès son vivant, dans l'imaginaire collectif des amateurs de vélo. Pantani était de ces champions mythifiés vivants, capables d'électriser des foules de fans
et de faire palpiter le coeur de la légende cycliste. Grimpeur de génie, comme l'histoire en a peu connus, il représentait exactement ce dont raffole la chronique du cyclisme, celle de l'épopée
en action directe, celle des forçats de l'asphalte, des durs au mal et des héros solitaires.
Solitaire, comme souvent l'ont été les grimpeurs prodigieux de son espèce, Pantani l'a été par tempérament mais
aussi par infortune. Machine à dévorer les pentes montagneuses, à supplanter le commun des mortels et à planter ses adversaires sur le bitume oblique, il était conçu pour s'extraire de la
multitude, s'affranchir du collectif, s'extirper de la masse et de l'amas. Sa nature le portait à gagner les cimes seul et plus vite que les autres. Son essence était à l'ascension. Les sommets
l'aimantaient et l'élevaient aux nues. Fougueux, abrupt et souple à la fois, il prouvait dans ses envolées que la fusion du corps humain et du vélo par la souffrance est non seulement possible
mais aussi et surtout poétique. Mais il était aussi cafardeux et mélancolique qu'il pouvait être intrépide et orgueilleux. Pantani pouvait passer de l'éclat à la langueur. Ces
êtres fragiles et sublimes avancent sur le fil du rasoir, et il s'en faut de peu que le tranchant les sectionne net et définitivement - clac.
En quelques années, Pantani a connu la gloire et la déchéance. Adoré et acclamé de 1994 à 1998, il a dégringolé de 1999 à 2004. Dix années seulement ont construit son histoire et détruit l'homme. Retrouvé gisant dans une chambre d'hôtel à Rimini le 14 février 2014, officiellement achevé par des surdoses de cocaïne, le champion italien a achevé sa vie l'âme lacérée. Dépressif, abattu, tourmenté, il ne pouvait porter vivant le poids de son histoire. Il est mort pour la figer et la confier au néant éternel. Les circonstances exactes de son décès, à 34 ans, resteront probablement confuses à jamais et continueront de faire l'objet d'hypothèses contradictoires. Reste ce parcours en descente vertigineuse, comme le négatif de ses grimpées légendaires, qui l'a conduit jusqu'à cette fin désastreuse et pathétique. Vainqueur encensé du Tour de France 1998, il ne s'est jamais relevé du
scandale de Madonna di Campiglio, en 1999, lorsqu'il a été exclu du Tour d'Italie qu'il s'apprêtait à conclure en triomphateur,
soupçonné - mais jamais formellement convaincu - de dopage.
Dans son petit essai sobre et précis, Jacques Josse refait le parcours de ces dix années, de la révélation de ce jeune escaladeur dégarni et timide en 1994 au choc de sa mort en 2004 en passant par ses exploits, ses accidents, ses splendeurs et ses noirceurs. En 98 chapitres courts et factuels, Josse retourne à l'essentiel et roule sur l'arête cassante qu'a suivie Pantani. En suivant cette route de faits et d'aspérités, Josse traverse la lumière et la pénombre qu'a traversées Pantani. Comme dans une galerie d'images sélectionnées, on capture les moments qui ont fait passer Pantani de grâce à disgrâce, de solitude à claustration, d'exaltation à néant.
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