Thelma Ritter se remémore cet amnésique...

L'Homme de nulle part - Pierre Nedjar & Ted Benoit

 

Vous tombez sur un bonhomme, la petite trentaine au maximum, bien de sa personne, propre sur lui, poli ; il vous aborde pour vous demander son nom. Non pas le vôtre, le sien. Pas pour vous tester, mais parce qu'il l'ignore, pour de vrai. Pas très net. Le pauvre garçon est en pleine crise d'amnésie. Vous lui donnez les quelques indications utiles que vous pouvez, localisation horaire et géographique, et le rendez à son mystère. Mais il revient presque aussitôt, pris en charge par la jeune fille de la maison où vous officiez comme aide ménagère. Vous : vous êtes Thelma Ritter (vous partagez ainsi votre nom avec celui d'une actrice américaine décédée 20 ans plus tôt). Et c'est cette Thelma Ritter, fille intelligente, légèrement désabusée, qui nous fait ce récit, comme elle ouvrirait un chapitre de ses mémoires. On est dans les Etats-Unis de 1989.

Laura Linnell, la demoiselle qui recueille Max - c'est le prénom qu'elle lui attribue - s'entiche fatalement de lui. Pour l'aider et le garder près d'elle, elle lui offre un poste dans la propriété. Rapidement les indices (pas des moindres, un assassinat notamment) convergent pour soupçonner Max l'amnésique d'être impliqué dans des affaires plutôt louches. Laura et lui s'engagent dans un road movie, pour fuir les prédateurs qui courent après Max, et pour découvrir son identité. Quête difficile, semée d'embûches, que Max poursuit avec autant d'apathie que de détermination, mais au bout de laquelle Laura n'est peut-être pas certaine de vouloir aller.

C'est Ted Benoît qui a scénarisé cet album en 1989, abandonnant provisoirement ses habitudes de dessinateur au profit de Pierre Nedjar, auteur d'une "ligne claire" très stylisée, totalement imprégnée de l'ambiance américaine. Ce dessin à grandes cases limpides accompagne un scénario très accrocheur (même s'il n'est pas novateur), un peu indolent, conduit par un texte très soigné et par une voix off assez abondante. La densité de ces commentaires peut rebuter certains lecteurs, mais ils sont une pièce maîtresse de l'album. Une forme de mollesse, dans ce périple énigmatique, peut être analysée comme une élégante contribution à l'ambiance de l'oeuvre, plutôt que comme une certaine faiblesse. L'album est beau, mystérieux, presque oppressant, et tranquille à la fois. En revanche, c'est la fin qui risque de rebuter, trop décevante car à peu près incompréhensible. Soit elle n'est pas assez explicite, soit elle entretient délibérément le mystère, ce dont il est difficile de se contenter.


L'Homme de nulle part, les mémoires de Thelma Ritter

Scénario : Ted Benoit

Dessin : Pierre Nedjar

1re publication : 1989

Editeur : Casterman



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