La Femme floue - Dumontheuil
Nicolas Dumontheuil doit être aussi fou que la femme de son diptyque est floue. Auteur à l'oeuvre flâneuse, onirique, poétique et désaxée, il a l'art de commettre des albums décalés, des vagabonds de la bande dessinée. En 1997, son extraordinaire Qui a tué l'idiot? avait obtenu le prix du meilleur album français au festival d'Angoulême.
Pour les familiers de Dumontheuil, il est probable que Qui a tué l'idiot? reste pour toujours son chef-d'oeuvre ; du moins occupera-t-il toujours une place très particulière dans son répertoire.
Depuis l'idiot, Dumontheuil a poursuivi son travail, en variant plus ou moins légèrement le ton du scénario, le graphisme, les couleurs, selon ses productions, mais en restant toujours à la marge du normal, si ce n'est en plein absurde.
La femme floue est une histoire en 2 tomes, follement insolite, délirante et poétique à la fois. Inracontable. un type vagabonde sur son cheval, avec en poche la photo d'une femme aimée ; le cliché a fini par devenir flou à force d'être contemplé. La perte de cette photo est le déclencheur d'une suite dramaturgique dont la totale divagation fonctionne néanmoins selon un ordre et une cohérence intrinsèques. Pour peu que la puissance imaginative de Dumontheuil opère sur son lecteur, celui-ci est aspiré dans un univers halluciné aux non-codes duquel il adhère avec la même force loufoque.
En quête de la photo et de son modèle, le pauvre type cavale sur le dos de son animal dont il ne reste plus que la tête, pour avoir été boulotté aux quatre cinquièmes par le renard. La nouvelle de l'errance de cette photo floue s'étant propagée, l'impératrice - que personne n'a jamais vue - tombe en pleine crise de jalousie, devant l'offense que lui fait la possibilité de la beauté de cette femme, que chacun peut en effet imaginer et fantasmer à loisir. Cette attaque de jalousie a pour effet d'interrompre le cours des saisons et de figer l'hiver. L'improbable chevauchée du héros le conduit à la maison qui n'existe pas, la demeure de tous les fantasmes, où chacun prend l'apparence d'un autre.
Une folie pure, merveilleuse, vaporeuse, vagabonde, drôle. Les deux albums de La Femme floue se déploient tout comme si l'auteur en avait improvisé le déroulement - et c'est bien ce qu'il a semblé avouer lui-même. Au fil de ses BD, Dumontheuil bâtit une oeuvre extravagante qui est aussi brindezingue qu'elle autorise une profonde réflexion sur l'humain, l'existence, les rapports entre les individus, les paradoxes de la vie.
Il n'y a plus qu'à se laisser siphonner par le monde parallèle de La Femme floue. Un monde flou, flou, flou.
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